L’art comme voie de résistance

Article : L’art comme voie de résistance
Crédit: Nayra Prieto
4 septembre 2024

L’art comme voie de résistance

De nouveau, je vous raconte la région du Cauca où je me suis rendue en février 2023. Je partage ici la vie de deux artistes indigènes : le rappeur John Jota et la vocaliste Eimy Chilo. Dans un contexte de conflit, l’art est une forme de résistance. Le travail des artistes me semble vital et louable, qu’ils soient de petite ou grande renommée. 

John Jota, l’indien du rap

Dessin, crayon, aquarelle, encre, Nayra Prieto – fevrier 2023

Qui je suis

Mon amie moi je suis ce que je représente we

Regarde là-bas le village ou tu es née

Il y a la guerre, mais il y a aussi du talent

Je viens d’un petit village mais qui a des grands artistes

Ou il y a des peintres, des cyclistes et de footballeurs

Ici ou même un enfant peut te parler de violence

Car les fusillades se vivent avec fréquence

Toribio, Cauca, zone rouge pour les gens

Mais pour un touriste s’est un paysage différent à celui que raconte les médias

Je dis je suis du Cauca et on me demande sur la guerre, 

Ils disent que l’herbe de mon bled est la meilleure, 

Et j’vais pas vous mentir c’est la vérité

Comme tu le sais moi je viens de la montagne

J’ai le sang Nasa et le cœur de rappeur

J’espère que vous me jugerez pas si je me ramène à la chasse

Je suis l’indien du rap

J’apporte du rap de Toribio

Ca fais deux ans que je rap et j’ai appris que si tu rap la réalité tu ne resteras pas dans l’oubli

Je vous demande uniquement d’écouter ce que j’ai écrit sur feuille

Ne regarde pas mes habits, ni ma couleur de peau

Je n’écris pas pour la gloire, même si certains le croient

Je veux uniquement ta main levée quand je me dresserai ici

John Jota, rappeur indigène de la communauté indigène Nasa, au nord-est du Cauca

John Jota a commencé à rapper à l’âge de 15 ans, et il en a 19 actuellement. Il sait ce que c’est d’être un enfant dans une guerre. Ces paroles sont glaçantes comme un iceberg mais elles laissent traverser un rayon d’espoir. Celui de ne jamais taire la vérité. « Moi je tire des rimes pas des balles », me dit-il.

Je le rencontre après une présentation d’un événement du CRIC (Conseil régional indigène du Cauca). Je vous partage cette rencontre car sa force m’a troublée, je l’ai trouvée admirable. Et tout de même, dans ma gorge la sensation est âpre quand il me partage ce qu’il vit au quotidien.

Il écrit des textes qui ne mangent pas leur langue. Il se présente de front avec ces textes haut le cœur, face aux gens pour clamer ces vers. On essaye de le cibler, de l’apeurer, et il revient tout de même. Il a 19 ans, et il sait qu’à chaque fois qu’il chante il danse avec la mort, et il sait qu’il le fera jusqu’au dernier souffle. Bien sûr, il me dit qu’il faut être rusé, pas se jeter dans la gueule du loup, dire avec subtilité, pas partout, mais dire coûte que coûte.

Quand je le rencontre, ça faisait peu de temps qu’il était revenue à Toribio, son village natal. Il avait du partir durant plusieurs mois car les groupes armés du secteur l’ont sous la mire et le menacent fréquemment. Car avec ces textes et son chemin, il incite la jeunesse à ne pas opter pour les armes. Dans le Cauca un des problèmes majeurs que rencontrent les communautés indigènes, c’est le recrutement de mineurs pour la guerre. Malgré les tentatives pour le faire taire, le voilà de retour. Quand je lui demande pourquoi, il me dit qu’il souhaite un autre contexte pour les enfants, les jeunes du Cauca, et qu’il veut leur montrer qu’ ils n’ont pas que l’option de la guerre, qu’il peuvent agir avec d’autres sillons.

Eimy, chanteuse de la communauté indigène Nasa

Dessin crayon, encre et aquqrelles, Nayra Prieto – fevrier 2023.

Je veux qu’on m’enterre, comme mes aïeux.

Dans le ventre obscure et frais, d’un pot d argile.

Quand la vie s’en ira, sous un rideau d’année.

Viveront à fleur de temps, amours et déceptions.

Argile, cuite et dure, âme de vertes collines.

Terre et sang de mes gens, soleil de mes aïeux.

De toi je suis née et à toi je reviens, argile, pot de terre.

Avec ma mort je repose en toi, en ta tendre poussière envoûtante.

De tí nací y a tí vuelvo, arcilla, vaso de barro,

Con mi muerte yazgo en tí, en tu polvo enamorado.

Vasija de Barro, Gonzalo Benitez

Cette chanson de l’auteur équatorien Gonzalo Benitez est devenue très célèbre en Amérique du Sud. Il raconte avec poésie et douceur les rituels funéraires des peuples précolombiens. Les défunts étaient enterrés avec leurs objets de valeur dans de grands récipients en céramique. Le tableau El origen du peintre Oswaldo Guayasamin a été sa source d’inspiration.

Cette chanson a été interprétée en différentes langues. Pour la restituer, notre protagoniste colombienne, Eimy Chilo l’interprète dans sa langue maternelle, le nasa yuwe, une langue amérindienne qui serait parlée par 68 000 personnes.

Je rencontre Eimy lors de l’anniversaire des 52 ans du CRIC. Elle m’invitera a rester chez elles quelque temps.

Elle adore la musique depuis l’enfance. Eimy allait chanter dans les rues et événements des alentours accompagnée par son père à la guitare.

Sa famille vient du centre du Cauca, de Tierradentro. Mais depuis l’adolescence sa famille a migré dans la ville de Santander de Quilichao. Beaucoup de familles indigènes se voient obligées de migrer hors des réserves pour trouver du travail.

Eimy est travailleuse sociale et musicienne. Depuis quelque temps, elle a décidé de chanter en nasa yuwe car elle a observé que les indigènes Nasas oubliaient leur langue. La migration, le monde moderne peignent les communautés d’oubli. Alors elle et d’autres musiciens se mobilisent pour produire de la musique dans cette langue. Le CRIC y donne une grande importance et développe des studios d’enregistrement et des programmes de soutien aux artistes. 

Découvrez sa musique juste ici :

À lire aussi : L’histoire de la créatrion du CRIC et Le bâton de pouvoir

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